• Quelques lignes pour un alignement

     

    Quelques lignes pour un alignement

    Platanes de la route de Cerdon - Cliquer sur la photo pour l'agrandir

     

     

    À force de le voir, on ne le voit plus vraiment, le magnifique alignement de platanes de la route de Cerdon, même s’il a subi au fil des ans quelques amputations (dont la dernière en date, stupide et sans justification, est relativement récente, en février 2017 (lire ici « À propos de l’abattage d’un des platanes de la route de Cerdon »).

    Bref, aujourd’hui, quelques lignes de Paul Valéry, tirées du recueil Charmes (1926), après celles de Francis Ponge, à lire ici « Platanes et résistance », pour rendre visibles ces majestueux platanes (ici aussi « Pieuvre végétale »).

     

    Au Platane

     

    Tu penches, grand Platane, et te proposes nu,
    Blanc comme un jeune Scythe,
    Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu
    Par la force du site.

    Ombre retentissante en qui le même azur
    Qui t’emporte, s’apaise,
    La noire mère astreint ce pied natal et pur
    À qui la fange pèse.

    De ton front voyageur les vents ne veulent pas;
    La terre tendre et sombre,
    Ô Platane, jamais ne laissera d’un pas
    S’émerveiller ton ombre !

    Ce front n’aura d´accès qu´aux degrés lumineux
    Où la sève l’exalte ;
    Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les noeuds
    De l’éternelle halte !

    Pressens autour de toi d´autres vivants liés
    Par l’hydre vénérable ;
    Tes pareils sont nombreux, des pins aux peupliers,
    De l’yeuse à l’érable,

    Qui, par les morts saisis, les pieds échevelés
    Dans la confuse cendre,
    Sentent les fuir les fleurs, et leurs spermes ailés,
    Le cours léger descendre.

    Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé,
    De quatre jeunes femmes,
    Ne cessent point de battre un ciel toujours fermé,
    Vêtus en vain de rames.

    Ils vivent séparés, ils pleurent confondus
    Dans une seule absence,
    Et leurs membres d´argent sont vainement fendus
    À leur douce naissance.

    Quand l’âme lentement qu’ils expirent le soir
    Vers l’Aphrodite monte,
    La vierge doit dans l’ombre, en silence, s’asseoir,
    Toute chaude de honte.

    Elle se sent surprendre, et pâle, appartenir
    À ce tendre présage
    Qu’une présente chair tourne vers l’avenir
    Par un jeune visage. . .

    Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux,
    Toi qui dans l’or les plonges,
    Toi qui formes au jour le fantôme des maux
    Que le sommeil fait songes,

    Haute profusion de feuilles, trouble fier
    Quand l’âpre tramontane
    Sonne, au comble de l’or, l’azur du jeune hiver
    Sur tes harpes, Platane,

    Ose gémir !. . . Il faut, ô souple chair du bois,
    Te tordre, te détordre,
    Te plaindre sans rompre, et rendre aux vents la voix
    Qu’ils cherchent en désordre !

    Flagelle-toi !. . . Parais l’impatient martyr
    Qui soi-même s’écorche,
    Et dispute à la flamme impuissante à partir
    Ses retours vers la torche !

    Afin que l’hymne monte aux oiseaux qui naîtront,
    Et que le pur de l’âme
    Fasse frémir d’espoir les feuillages d’un tronc
    Qui rêve de la flamme,

    Je t’ai choisi, puissant personnage d’un parc,
    Ivre de ton tangage,
    Puisque le ciel t’exerce, et te presse, ô grand arc,
    De lui rendre un langage !

    Ô qu’amoureusement des Dryades rival,
    Le seul poète puisse
    Flatter ton corps poli comme il fait du Cheval
    L’ambitieuse cuisse !. . .

    - Non, dit l’arbre. Il dit: Non ! par l’étincellement
    De sa tête superbe,
    Que la tempête traite universellement
    Comme elle fait une herbe ! 

     

     

     

    Quelques lignes pour un alignement 

    Détail des branches élaguées des platanes de la route de Cerdon (à la façon de Cézanne) - Cliquer sur la photo pour l'agrandir

     

     

     

    [Mis en ligne le 3/05/2019]

     

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